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Remi Hess
 L'horizon de mes mots 2

L'érotisme dans la valse.

J'ai appris hier que l'Ecole des Chartes avait organisé cette année, pour la première fois, un cours de valse pour ses élèves. C'est vraiment une bonne nouvelle, même si, en même temps, on m'a informé que des élèves séchaient ce cours ! Pour montrer à celles et ceux qui sont tentés par l'école buissonnière l'importance qu'il y aurait pour eux à prendre au sérieux cette heureuse initiative de l'Ecole, je voudrais leur faire partager un texte que j'ai écrit en 2007 pour la Biennale de la danse de Venise, (14-30 juin 2007). Mon texte est paru en italien. A ma connaissance, il n'est pas paru en français. La mise en ligne ici fait sauter mes notes de bas de page. Je le regrette. Je les transforme en bibliographie. L'article traitait successivement de la valse et du tango. Compte tenu de l'actualité aux Chartes, je donne la première partie, mais si des lecteurs veulent la suite, ils l'auront !

L'érotisme dans la danse, de la valse au tango (1)

"Les seins, pendant la valse, défient l'homme de près avec une violence aveugle…"
Ramon Gomez de la Serna, Seins.


Il y a un érotisme de la danse de couple. La valse met le Chrétien en danger. L'Eglise et l'Etat l'ont non seulement perçu, mais combattue, avec la plus grande énergie, jusqu'à la Révolution française, puis avec détermination au XIX° siècle, jusqu'à ce que le Pape Pie X reconnaisse, à contre-cœur, que l'on pouvait danser le tango, sans être forcément en état de péché. Pendant tout le XX° siècle, l'Eglise a continué à combattre cette pratique, même si c'était de manière plus discrète, notamment dans les mouvements de jeunesse. Dans la morale chrétienne, le péché de chair est le plus vilain.

L'érotisme de la valse et du tango est au cœur du problème du peuple de Dieu.
Moi-même qui danse la valse et le tango depuis 1955, j'ai toujours la conscience de faire un petit péché, en allant inviter une fille à danser. Je dirai même que, sans le risque du péché, pas de désir de danser.
L'érotique est déjà dans l'invite, voire dans le moment où l'on s'habille pour aller danser. On essaie ses bas. On se regarde dans la glace. On entre dans le moment érotique par une transition auto-érotique.

La valse et le tango furent, et restent donc encore aujourd'hui, une culture du péché. Le couple qui s'y risque se trouve à une frontière entre le bien et le mal, le désir, le plaisir, la frustration, la culpabilité.

Ces danses excitent les Catholiques, mais aussi tous les peuples et les religions qui reconnaissent la Loi du décalogue. En effet, l'idée de danser la valse ou le tango avec une personne qui n'est pas son conjoint légitime, suscite le péché, "par pensée, par action ou par omission". L'intimité que crée la danse enlacée (valse) ou embrassée (tango) suscite de la part du tiers, toujours un moralisateur, un questionnement sur ce qui se joue dans ce moment d'intensité érotique.

Pour les Européens, la valse demeure un symbole du romantisme amoureux. D'ailleurs, c'est la danse qui ouvre le bal de mariage, dans la plupart des pays d'Europe.

À la Renaissance, la grand-tante de la valse, la volta, rencontra un énorme succès en Italie, en France et en Angleterre : elle y était décrite comme obscène. Les Italiens disaient qu'elle venait de France, et les Français d'Italie ! Dans cette danse tournante, à trois temps, l'homme prenait, de ses deux mains, la femme entre les deux cuisses pour la faire sauter. Il faudra réfléchir à la nature du vécu érotique, selon que l'on pratique la danse elle-même, ou que l'on se contente de la regarder, de l'observer. On reprocha à la volta, puis à la valse, d'être une atteinte au savoir-vivre, à la santé, aux bonnes mœurs, etc. La valse fut donc une danse de provocation, avant de se faire accepter et de s'institutionnaliser grâce à la musique. Ce qui est en cause, c'est cet érotisme qu'il va nous falloir décrire.

La conquête d'une liberté de mœurs

Malgré la résistance des moralistes, une géographie historique de la valse montre qu'elle ne cesse de gagner du terrain : on la danse au cœur de l'Europe dès 1750 ; elle est bien installée en Alsace en 1770, à Buenos Aires et aux Antilles en 1804. Elle conquiert l'Amérique latine (Mexique, Brésil, Pérou…). La valse finit par s'implanter en 1840 en Bretagne, région française alors très moraliste, qui fut la plus persévérante à lui résister. À la mort de Mao, elle devient une pratique de masse en Chine. La valse, comme d'autres danses d'origine populaire (la polka, avant le tango), avant de s'imposer, engendra des conflits. Je ne suis pas sûr que tous les pays qui ont adopté ces danses aient adopté en même temps sa charge érotique. Par exemple, les Chinois se lèvent à 6 heures du matin, pour danser la valse. Il semble que, pour eux, cette danse soit davantage une forme d'art martial, qu'une danse de séduction . Les Fez Noz bretons ne donnent pas non plus l'idée d'une érotique de la valse !

Ce n'est pas le cas lorsque la valse détrône le menuet, danse rigide. Ce sera un dur combat. En 1789, Georges Washington danse encore le menuet à New York. Rudolf Braun et David Gugerli ont du mal à le comprendre, car à ce moment-là la valse fait fureur en Europe : "Le premier président des Etats-Unis d'Amérique dansait la danse préférée de Louis XIV plutôt qu'une valse, à l'époque de la Révolution française, qui était vraiment le début d'une nouvelle période ; la valse faisait fureur, étant devenue la danse culte de l'émancipation des citoyens, mais elle demeurait inconnue outre-Atlantique ." À partir du brouillon de valse qu'avait été la volta de la Renaissance, la danse de couple fermée à trois temps se déplace en Europe, souvent combattue, parfois tolérée par les églises et les Princes . Elle porte des noms variés suivant les régions et la vitesse d'exécution (Landler, Dreher, Schleifer, Walzer, walse ou valse). Il existe des musiques, aux rythmes différents : si l'on danse au village sur terre battue, il est lent, comme dans la Landler ; si on danse au château sur parquet, le tempo est rapide.

La valse est mise à la mode par un mouvement littéraire allemand : le Sturm und Drang, dans les années 1770, qui prône la liberté du corps, l'amour de la nature, le refus du classicisme : l'érotique qui s'impose alors est celle du désordre contre l'excès d'ordre. La valse fut une provocation, un scandale contre le menuet français. Sous la Révolution, elle commence sa marche victorieuse. Le Journal du luxe et de la mode se plaint encore en 1792 de son succès, car à Berlin, il n'y a "plus que la valse, rien que la valse ; elle est tellement à la mode que l'on ne veut rien danser d'autre. Quand on sait valser, tout va bien ! Tourner la valse ne se fait plus pour servir la danse, mais c'est la danse qui sert les tours des valseurs." Une composante de l'érotique de la valse vient de la fièvre qu'elle porte en elle.

Ce Journal des Luxus und der Moden donne le bon ton. Il s'acharne contre la valse, une "danse de sauvages" : "La valse est aussi répandue qu'un rhume de cerveau contagieux, mais c'est difficile, bien plus difficile que beaucoup ne le croient. Tout le monde valse, mais tout le monde ne danse pas la valse. Certains couples se traînent maladroitement, les pieds entremêlés, et ils donnent de la gêne à ceux qui les regardent. Certains couples se traînent, en faisant des circonvolutions complètes. Une fois, le couple marche sur la robe de la cavalière qui les précède, une autre fois, le couple recule effrayé, et tire le couple qui est derrière eux de l'ivresse et de la gaieté. Parce qu'ils cherchent sur la pointe des pieds un endroit pour s'appuyer, et qu'ils se pressent les bras agrippés l'un à l'autre, ils inclinent vers le sol. Et c'est alors qu'un couple très adroit parvient enfin à être dans la mesure, mais c'est le moment où la musique s'arrête ! Et est-ce que vous avez remarqué comment certains couples, lui la tête tournée vers la droite, elle vers la gauche, se produisent dignement comme un couple fidèle, juste après leur lune de miel ? Aussi, le couple suivant est d'autant plus enlacé, et, dans un mouvement de tendresse débordante, comme coulé d'un seul bloc (...). ."

Louise de Prusse écrit : "Le 24 décembre 1793, il y avait banquet et bal. Les mariés dansaient avec une grâce magnifique et le roi admirait particulièrement sa belle-fille dans la valse, cette danse qu'aucune princesse, à la Cour, n'avait encore osé danser, parce qu'interdite jusqu'alors. La reine, outrée par une telle indécence, que sa belle-fille puisse introduire une danse qu'elle méprisait et rejetait avec tant de fermeté, interdit, de nouveau, à sa fille de la danser et détourna le regard pour ne pas voir sa belle-fille danser la valse ."

À Breslau, en 1797, "la Hopangloise - l'Anglaise sautée - est très appréciée du jeune public. Elle tourne comme un hermaphrodite falsifié, dans l'éternel mouvement circulaire de tours, faciles à comprendre. - À l'esprit de certains danseurs, une condition importante : le valseur ne doit jamais manquer ses tours. Malheur à celui qui danse devant vous, et a l'arrogance de ne pas faire valoir son droit (...). Celui qui danse la valse ou la Dreher prend une mine compassée, et ses mouvements lents n'empêchent pas une certaine tenue, et une certaine grâce. Par contre, le danseur de valse viennoise (Wiener Walzer) est d'une rapidité effrénée, bien qu'il ne danse pas seul. Peu de dames s'adonnent à cet exercice. La plupart ne se sacrifient pas volontiers à ces Bacchantes, car elles suivent l'interdiction formelle de leur mère, qui prêche pour le bien de leur santé ."

Ernst Moritz Arndt décrit une fête au village de Bubenreuth, durant l'été 1798 : "Il y eut aussi beaucoup de jeunes filles parce que là où est la charogne, là sont les vautours. Il y avait des notabilités, entre autres deux personnes très en vue, le reste était la plèbe, mais pas la pire. Ainsi, dans la société où je me trouvais, on avait valsé de cinq heures de l'après-midi à minuit, moment où le ciel a ouvert ses vannes. Plus rien n'allait, même si les mères et les gouvernantes des jeunes filles étaient spectatrices. Avec leur main, les danseurs relevaient haut la longue robe des danseuses, pour qu'elle ne soit pas piétinée, et rapprochaient par là les corps très près l'un de l'autre, et le couple continuait ses tours dans cette position immorale ; la main qui tenait le bout de la robe venait jusqu'au sein de la cavalière et, à chaque mouvement, donnait de petits tapotements concupiscents. Les jeunes filles se conduisaient comme des folles et des possédées. Dans les circonvolutions dans les parties les moins éclairées de l'espace de danse, il y avait des attouchements osés et des baisers. Mœurs campagnards, ce n'est pas si grave que ç'en a l'air, dira-t-on ! Je comprends très bien qu'en Souabe et en Suisse, on puisse interdire la valse ."

Le corps à corps, le toucher du corps de l'autre suscite le désir et sa condamnation par les non danseurs. Désir et dégoût ! La société est partagée. Elle s'affronte.

L'épidémie de la valse a gagné la France. E. M. Arndt l'y observe en 1801 : "Tout le monde aime la valse, ou plus exactement le Schleifer, que l'on valse très doucement, avec passion, et que les danseurs alternent régulièrement avec des quadrilles, et dont, encore maintenant, les yeux et les cœurs ne peuvent se rassasier. "Une walse ! oh encore une walse ! entend-on de tous côtés. Cet amour de la valse, et la nationalisation de cette danse allemande sont nouveaux ; depuis cette guerre, avec le fait de fumer du tabac et d'autres modes du même genre, c'est devenu une habitude ."

Liz Claire, à partir d'un dépouillement systématique de la littérature de l'époque (correspondances, romans, notamment), a montré dans une thèse brillante, que pendant les guerres révolutionnaires, les femmes ont eu un rôle essentiel dans l'organisation des bals et la diffusion de la valse. Pour cette Américaine, la valse est un état altéré de conscience, un "vertige", qui permet aux épouses de soldats d'oublier le contexte meurtrier de l'époque. Liz Claire insiste sur la dimension égalitaire de la valse : la femme et l'homme y sont égaux, sur le plan technique . Ce sont d'ailleurs les femmes qui militent pour la valse et contre les guerres de la Révolution .

Liz Claire parle de "Vertigo". Il existe un trouble érotique de la valse qui vient du tournoiement de la valse. La danseuse, le danseur vivent une sorte de dédoublement de la personnalité. Ils entrent dans un état altéré de conscience. Mais alors que le Dervich tourneur vit cette expérience, seul, la valseuse entre dans cet état de transe, dans les bras d'un homme. Beaucoup d'observateurs voient là une représentation publique de l'acte amoureux.

Au siècle de la valse, la danseuse adopte souvent un décolleté qui met en valeur ses seins. Les seins à la valse entrent les premiers dans le mouvement tournoyant. Le poète surréaliste Ramon Gomez de la Serna a consacré un très beau poème à ce sujet. Dans "Les Seins dans la valse", il montre que les seins s'animent, rien qu'à l'idée de la valse. "Les seins qui vont à la danse entendent, avant les oreilles, le bruit de la musique et se balancent en mesure dans les robes suaves des valseuses …"

Avec le temps, la valse s'institue . Elle choque moins, on l'enseigne, puis elle tourne en rond.

NOTES transformées en bibliographie

- La version parue à Venise est la traduction italienne de Maria Elenonora Sanna.
- R. Hess, La valse, un romantisme révolutionnaire, Paris, Métailié, 2003 ; traduction espagnole : Buenos Aires, Paidos, 2004. Et aussi 3 - R. Hess, La valse, révolution du couple en Europe, Paris, Métailié, 1989, 346 pages ; trad. italienne augmentée d'illustrations en couleur : R. Hess, Il Valzer, Einaudi, Turino, 1993.
- Cf. la partie "L'institutionnalisation par la musique", in R. Hess, "La valse", in Musique, villes et voyages, Paris, éd. Cité de la musique, 2006, 95-104.
- R. Hess, "Goethe et la valse", in Sociopoétique de la danse, sous la direction d'A. Montandon, Paris, Anthropos, 1998, pp. 149-166.
- S. Piana, "Del vals al vals criolo y al vals porteno", in La historia del tango, vol. 12, p. 2184.
- Zhen Hui Hui, préface à la traduction chinoise de R. Hess, Les trois temps de la valse, Shanghai, 2006. Cet ouvrage a été écrit spécifiquement pour les Chinois.
- Rudolf Braun et David Gugerli, Macht des Tanzes. Tanz der Mächtigen, Hoffeste und Herrschaftszeremonielle 1550-1914, Munich, Beck, 1993, 378 p. Les pages 166 à 274 de ce livre portent sur la valse. Elles apportent des sources allemandes nouvelles par rapport à ma Valse de 1989, notamment sur la valse entre 1750 et 1815.
- Sur la relation entre valse et théologie, R. Hess, La valse, 1989, pp. 249-284.
- R. Hess, Der Walzer, Geschichte einer Skandals, Hambourg, Eva, 1996, 342 p. + 18 planches d'illustrations.
- Journal des Luxus und der Moden, Berlin, mars 1797. Les traductions de l'allemand sont de R. Hess.
- Luise von Preussen (Fürstin Anton Radziwill), Fünfundvierzig Jahre auxs meinem Leben (1770-1815), Braunschweig, 1912, p. 78. Voir également p. 73. commenté par Rudolf Braun et David Gugerli, op. cit., p. 208.
- Journal des Luxus und der Moden, Berlin, juin 1797.
- Arndt, Ernst Moritz, Bruchstücke aus einer Reise von Baireuth bis Wien im Sommer 1798, facsimilé de l'édition de 1801, avec une postface de Jacob Lehmann, Erlangen, 1985, p. 68.
commenté par Rudolf Braun et David Gugerli, op. cit., p. 206.
- Arndt, Ernst Moritz, Reisen durch einen Teil Teutschlands, Ungarns, Italiens und Frankreich, Leipzig, 1804, p. 198
- Liz Claire développe notamment une lecture des échanges de lettres entre Rahel Lewin et David Veit en 1793-1794 à propos de la phrase de Goethe, dans Werther : "Je n'accepterais pas qu'une femme sur laquelle j'aurais quelque droit puisse valser avec quelqu'un d'autre".
- Liz Claire, Women, Waltzing & Warfare, The Social Choreography of Revolution, at the end of the Long 18th Century (thèse, 27 avril 2004, Performance Studies, University of New York University). L'idée du "vertigo" a été défendue en France par Catherine Clément, qui a publié un livre sur la valse juste après mon ouvrage de 1989.
- Liz Claire, "Waltzing, french Revolution and Vertigo", communication au colloque de Stanford, 51° congrès de la Society for French Historical Studies, 18 mars 2005. Voir mes développements sur ce colloque, à propos de "valse et révolution", dans R. Hess, "Suis-je historien ?, colloques en Californie, 16-29 mars 2005", in R. Hess, La découverte de l'Amérique, Les Etats-Unis, Presses universitaires de Sainte Gemme, 2006, 150 pages.
- Ruth Katz, "Egaliarian Waltz", 1973 ; repris dans R. Copeland, What is Dance ? New York, Oxford Un. Press, 1983.
- Elisabeth Claire, "La Donna, il Valzer e la Guerra", in Danze di corteggiamento e di sfida nel mondo globalizzato, a cura di Pietro Fumarola e Eugenio Imbriani, Nardo, Besa, 2007, pp. 25-44.

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